Compact

Publié le 24 janvier 2023
par Nina Power
Original: CompactThe Trans War on Tomboys

La fille sur la photo a environ 10 ou 11 ans. Elle porte un pantalon chino beige, un sweat-shirt et des baskets Converse violets. Elle s’est accroupie dans l’herbe près d’un mur de pierre, et ses cheveux sont une sorte de coupe mulet désordonnée. Elle est en bonne santé et sourit de manière détendue, avec des dents bancales trop grandes pour sa bouche. Par-dessus tout, elle ressemble à un garçon.

Nous avons pris un mauvais virage en permettant aux compagnies pharmaceutiques de construire des patients à vie à partir d’enfants en bonne santé.

Je suis la fille sur la photo. Je ne sais pas exactement quand elle a été prise, mais elle date d’environ 1991. Je l’ai postée sur Twitter en réponse à un tweet de Bev Jackson, l’une des cofondatrices de LGB Alliance, une organisation britannique qui milite pour les droits des lesbiennes, des gays et des bisexuels. Jackson a écrit : « Faisons tous de notre mieux pour promouvoir des images positives des tomboys. »

Je sais pourquoi Jackson a dit ça. Il était tout à fait normal, jusqu’à récemment, que les filles soient des garçons sans interférence. Certaines sont devenues homosexuelles ou bisexuelles, mais beaucoup ne l’ont pas été. Un certain nombre de filles s’habillaient à la garçonne et avaient des intérêts typiquement associés aux garçons – les machines, l’aventure, Donjons et Dragons, le football – mais cela ne posait de problème à personne. Personne n’aurait songé à suggérer que ce comportement indiquait que le tomboy était en réalité un garçon enfermé dans un corps de fille. En fait, personne n’a rien dit du tout à ce sujet.

Bien que je sois maintenant d’âge moyen, ceci n’était pas si loin. Bien sûr, il est toujours tentant d’imaginer que son enfance a coïncidé avec le perfectionnement de l’histoire. Mais honnêtement, il est difficile d’imaginer un moment plus émancipé. Enfants et adolescents, nous avons vécu ce que l’on ne peut décrire que comme une sorte d’indifférence positive, et à la fin de l’histoire, rien de moins. Nous étions libres de porter ce que nous voulions, de jouer à tous les jeux que nous voulions et de fréquenter des enfants du sexe opposé, à condition d’être à la maison pour le dîner.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde infantile et ouaté où chacun est traité comme un être fragile qui a besoin d’être protégé de toute perturbation potentielle. Mais ce dorlotement est plus nuisible que ce qu’elle cherche à prévenir.

Entre cette époque et aujourd’hui, cependant, quelque chose de sinistre s’est produit : une élévation de l’importance du genre sur le caractère, de l’identité sur le devenir. Aujourd’hui, la fille garçon manqué risque de s’entendre dire qu’elle est « née dans le mauvais corps » et d’être emmenée dans une clinique spécialisée dans les questions de genre pour entamer le parcours qui va des bloqueurs de puberté à l’ablation des seins en passant par la chirurgie réproductive et, finalement, l’infertilité. Engager les enfants sur cette voie – que beaucoup regrettent – est un préjudice évident et grotesque. Nous avons pris un mauvais virage en permettant aux compagnies pharmaceutiques de construire des patients à vie à partir d’enfants en bonne santé.

À l’époque, nous étions au contraire encouragés à développer nos intérêts et notre caractère dans la direction de notre choix, quelque soit le sexe. Le grunge était génial, son côté pessimiste mis à part, car nous pouvions tous porter un T-shirt du groupe, une flanelle à carreaux, un jean et des bottes. Lorsque Kurt Cobain portait une robe, il ne le faisait pas parce qu’il s’imaginait « réellement » femme, comme certains le prétendent aujourd’hui, mais parce qu’il savait à quel point les vêtements sexués étaient arbitraires. Il ne s’agissait pas de nier la réalité – tout le monde avait un certain type de corps et cela impliquait certaines vérités. Au début de l’école secondaire, un après-midi, nous avons été séparés en garçons et en filles pour un survol rapide des faits de l’adolescence. C’était plus amusant que traumatisant, et la plupart d’entre nous savaient déjà tout (du moins en théorie).

Les adultes doivent faire face à leur devoir de protéger les enfants et les adolescents de leurs propres désirs et ne pas s’imaginer que leurs enfants savent mieux que les autres.

Nous n’avons jamais imaginé que nous pouvions choisir de ne pas utiliser notre corps. L’idée que l’on puisse « changer de sexe » ou faire une pause dans la puberté nous aurait semblée incompréhensible à l’époque. En outre, nous voulions grandir. Et même à l’époque, nous savions que cela impliquait d’affronter la souffrance. Être adulte, c’est accepter la perte, la douleur et la responsabilité. Notre culture est de plus en plus incapable de le faire. Nous vivons aujourd’hui dans un monde infantile et ouaté où chacun est traité comme un être fragile qui a besoin d’être protégé de toute perturbation potentielle. Mais ce dorlotement est plus nuisible que ce qu’elle cherche à prévenir. Il met en veilleuse l’expérience elle-même, le processus même qui permet à chacun de comprendre que la vie est souvent injuste et bouleversante, mais qui lui montre aussi comment y faire face.

Les enfants doivent pouvoir grandir sans que leur comportement normal soit pathologisé. Les adultes doivent faire face à leur devoir de protéger les enfants et les adolescents de leurs propres désirs et ne pas s’imaginer que leurs enfants savent mieux que les autres. Il fut un temps où, sans interférence, mais non sans conseils, nous étions autorisés à devenir des adultes, avec des passions de toutes sortes. Nous devons retrouver cette époque.

J’ai cessé d’être un garçon manqué pour devenir plus féminine au début de la vingtaine, mais si vous m’aviez demandé à 11 ans si je voulais être un garçon, j’aurais répondu « oui ». Ce qui aurait été un caprice de jeunesse, fondé sur rien de plus que l’identification avec mes amis, serait peut-être considéré aujourd’hui comme la recherche d’une vérité plus profonde sur cette mystérieuse idole contemporaine appelée « genre ». Mais les idoles ne sont que des distractions criardes. Le sujet de la photo peut sembler être un garçon, mais cette personne était une fille à l’époque, et est une femme maintenant, et cette réalité est belle pour moi.

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